La Place des Mosaïques

 

1. Les séquences visuelles

À proprement parler, il n’y a pas de rues convergeant sur la place des Mosaïques. Différents chemins piétons constituent néanmoins des voies d’accès depuis lesquelles l’observateur découvre graduellement l’espace de la place. Cinq séquences d’approche à la place du quartier des affaires peuvent ainsi être définies, séquences qui ont été représentées par le biais de l’outil photographique (Figure 5.39).

   

Figure 5.39 :

Les cinq séquences visuelles d’approche à la Place des Mosaïques

 

L’accès principal se fait du côté nord-est de la place. Vu sa géométrie sinueuse, ce parcours est le plus intéressant puisqu’il nous offre une séquence enchainant des plans fort différents. Une première sous-séquence (clichés 1, 2 et 3) aboutit vers l’esplanade se trouvant en contrebas de l’entrée de la place et a en fond de perspective le bâtiment à forme d’arc qui borde la place du côté nord est. Une fois sur l’esplanade, des escaliers la séparent de l’entrée de la place ; l’observateur change alors de direction mais pas de perspective (cliché 4). L’entrée se fait à travers une porte urbaine monumentale sous le bâtiment qui invite à la découverte (cliché 5). Une fois franchie cette porte, l’observateur peut découvrir l’ensemble de la place, avec une vision frontale d’un autre bâtiment sur le côté sud-ouest (cliché 6).

Les deux séquences sud-ouest et ouest se font par des voies carrossables (même si uniquement pour les véhicules de service). On y accède par l’avenue Lindberg. La distance qui sépare ces deux accès de la place est petite et n’offre donc pas beaucoup de plans. En effet, les deux rues contournent le bâtiment qui borde la place de ce côté. Les extrémités de ce bâtiment constituent un étranglement visuel qui cache la place et provoque un effet de surprise. Cela est particulièrement vrai pour l’accès sud-ouest (clichés 1 et 2). L’accès par l’ouest est, d’un point de vue visuel, négativement marqué par la présence de la friche au nord de la place, qui ouvre partiellement la perspective du piéton (clichés 1 et 2), diminuant d’autant l’effet de surprise et d’élargissement du champ visuel à l’arrivée sur la place. Il est à noter l’existence d’une échappée visuelle de la rue sud ouest vers une placette qui se trouve sur l’axe de l’entrée principale de la place, ce qui permet d’offrir une ambiance supplémentaire quand on parcourt cette rue. Depuis cette placette, on peut même définir une nouvelle séquence d’accès, grâce à la perméabilité du bâtiment qui s’oppose à l’entrée principale. Depuis la placette, la place des Mosaïques est d’abord entrevue par la percée sous le bâtiment (clichés 2 et 3), avec un effet de transparence qui est une invitation claire à la découverte. Elle est finalement perçue dans sa globalité par un élargissement soudain du champ visuel (cliché 4). Cette séquence visuelle réussit à jouer dans le registre du pittoresque avec des architectures postmodernes et se termine même dans le registre monumental par la vision frontale de la porte urbaine d’accès principal à la place.

Sur le côté nord, une voie carrossable permet d’accéder à la place longeant le bâtiment convexe avec la porte monumentale (il existe en réalité une dernière voie d’accès qui lui est symétrique à l’autre extrémité du même bâtiment, qui n’a pas été retenue dans notre analyse des séquences visuelles). Cette voie d’accès est également caractérisée par une distance réduite à la place et est dominée par la perception du grand bâtiment qu’elle longe (à gauche) et par celle de la friche (à droite) qui ouvre partiellement le champ visuel du piéton. Ce qui caractérise cette séquence est le dévoilement progressif de l’espace de la place, du à la sinuosité du parcours d’accès (clichés 1 et 2).

On remarquera qu’une dernière séquence d’approche aurait pu être définie depuis la bouche de sortie du parking souterrain au milieu de la place. La caractéristique de cette séquence est la perception soudaine de l’espace ouvert depuis un point de vue bas, accentuant la perception du ciel et de la silhouette des bâtiments entourant la place.

En dépit de la richesse des séquences d’approche à la place, la place des Mosaïques n’arrive pas à s’imposer en tant qu’élément central du paysage urbain de ce secteur occidental de la ville de Nice. En effet, la mauvaise connexion des chemins menant à la place aux rues des quartiers environnants traduit une volonté d’isoler visuellement la place et de préserver l’image de marque du quartier d’affaires de l’Arénas. On a ainsi l’impression d’une entité urbaine qui vie en autarcie et qui s’est volontairement imposée un certain isolement du reste de la ville.

 

2. L’application de la grille d’analyse de K. Lynch

Comme nous l’avons vu dans les modules précédents, la place des Mosaïques se trouve dans un ensemble homogène par son architecture et ses activités (services). Le quartier des affaires est clairement perçu comme étant un espace surfacique bien délimité au sein de la ville de Nice et la place de Mosaïque comme étant un sous-espace en son sein. D’autres sous-espaces sont perceptibles au sein du quartier et depuis la place, notamment celui répulsif de la friche qui borde la place et celui du parc botanique Phoenix, plus à l’est. Il est en revanche difficile de dire que la place soit clairement perçue comme étant une place noyau, concentrant activités, flux et ambiances au sein du quartier des affaires. La presque totale absence d’activités et de fréquentations en dehors des horaires de bureau, fait de cette place au mieux un noyau intermittent au cours de la journée et de la semaine. De surcroît, les limites des fronts bâtis entourant la place, par la convexité des bâtiments qui la composent, délimitent de façon un peu ambigüe l’étendue surfacique de la place (les formes concaves, comme dans la place du Palio à Sienne, renferment le regard de l’observateur bien mieux que les formes convexes) et la friche qui jouxte la place laisse le côté nord indéfini.

Des points de repère viennent par contre supporter la perception de la place, notamment la grande porte monumentale qui perce la façade de l’immeuble sur le côté est de la place ainsi que les caisses automatiques et la bouche du parking souterrain, s’élevant au milieu de la place. Plus loin, l’aéroport de Nice constitue également un point de repère : le mouvement des avions permet de le situer dans l’espace, donnant à l’usager la possibilité de s’orienter par rapport au bord de mer.

La place des Mosaïques ne s’impose pas comme étant un nœud de grande importance au sein de l’espace urbain niçois. Le caractère piéton de la place fait qu’il n y’ait pas de voies de transport qu’y convergent. Les bouches du parking souterrain constituent néanmoins un nœud pour les piétons-automobilistes, tout comme la convergence de chemins sur le parvis de l’Arénas, qui se situe en revanche au dehors de l’espace de la place.

Les éléments de paysage urbain les plus clairement perceptibles (parfois de façon visuelle grâce à l’ouverture de la friche et toujours en tant qu’éléments cognitifs) sont alors les voies/limites qui entourent et définissent le quartier des affaires : au sud, la Promenade des Anglais et l’avenue des Floralies, à l’ouest, l’avenue Lindberg et, au nord, l’ensemble du boulevard René Cassin, de l’autoroute urbaine et du relevé ferroviaire (clairement visibles depuis la place). La limite sur le côté est en revanche moins facilement perceptible. Ces limites perceptives sont également des limites fonctionnelles, isolant le quartier de l’Arénas de la cité des Moulins (au nord) et de l’aéroport de Nice (au sud).

Le diagnostic perceptif de la place de Mosaïques en matière d’imagibilité est alors contrasté. À la perception claire du quartier entourant la place et à l’imagibilité des architectures servant de points de repère sur et autour de la place, s’opposent une faible concentration d’ambiances, le caractère extrêmement local du nœud des caisses du parking et la proximité de la friche urbaine répulsive.

   

Figure 5.40 :

Schéma de composition du paysage urbain de la place des Mosaïques

 

 

3. La perception des usagers

 

Comme pour les autres places analysées, un questionnaire usagers a été utilisé pour interviewer les personnes rencontrées sur la place des Mosaïques (pour la présentation de l’échantillon, voir l’analyse des fonctions, des usages et des appropriations de la place des Mosaïques).

La majorité des personnes interrogés trouvent la place visuellement agréable et insistent sur la pertinence des aménagements notamment les mosaïques au sol. En réalité, la perception de la place des Mosaïques diffère selon le type d’usagers. Les employés, qui sont des usagers quotidiens, ont une perception plus utilitaire qu’esthétique de la place et en général n’apprécient souvent pas un espace qui renvoie aux situations de stress liées au travail. Les visiteurs de la place sont quant à eux impressionnés par le contraste crée par l'architecture des immeubles de bureaux et celle des autres immeubles de la ville. En outre, le traitement de son sol, par des mosaïques de couleur brique homogène, suscite l'intérêt et la curiosité des visiteurs qui y viennent pour la première fois. Ces mêmes visiteurs sont en revanche déçus par les services offerts sur la place. Usagers habituels et visiteurs concordent sur le caractère moderne, aménagé et ordonné de la place mais tous ne reconnaissent pas l’originalité de sa composition, plus d’un tiers des personnes interviewées la qualifiant de relativement banale (l’originalité de la composition des mosaïques étant probablement étouffée par la banalité de l’ambiance de la place). On peut dire que, d'après notre constat sur le terrain, c'est l'architecture des bâtiments, le traitement de l’espace public ainsi que la proximité du parc Phœnix qui exercent la plus forte impression sur les usagers extérieurs de la place.

Pour aller plus loin dans cette rapide lecture de la perception des usagers, nous avons demandé à un homme de 35 ans, employé dans le quartier de l’Arénas et usager de la place au quotidien, de nous dessiner la place de Mosaïques après l’avoir quittée. La carte mentale ainsi produite (figure 5.41) est symptomatique à la fois d’une fréquentation quotidienne et d’une perception utilitariste de la place.

La composition de la place est relativement simplifiée : les formes convexes des bâtiments sont rectifiées, les dessins des mosaïques au sol ne sont pas reportés et la friche au nord est tout simplement omise. Seule l’ouvre d’art sur le côté ouest de la place est reportée. Mais la composition de la place n’est pas totalement absente dans la perception de cet usager. Elle l’est indirectement. Il est ainsi intéressant de noter que la place est orientée à l’ouest, une orientation fortement suggérée par le positionnement de la porte d’entrée monumentale à la place, située sur son côté est.

La carte mentale montre en revanche une connaissance très précise des fonctionnements de la place, notamment en termes d’offre de services. L’usager répertorie ainsi de façon pratiquement exhaustive tous les services marchands sur le pourtour de la place, et notamment les bars-restaurants (il en aura probablement vite fait le tour au cours de ses pauses repas), la position précise des bancs pour s’assoir, celle de l’ascenseur pour accéder au parking souterrain et celle des passages permettant la connexion au reste du quartier des affaires. Il s’agit finalement d’une carte mentale localisant précisément équipements et fonctions, de façon topologiquement correcte (même si en opérant certaines simplifications sur les tracés géométrique) et omettant presque tous les éléments qui ne seraient pas susceptibles d’avoir une utilisation pratique.

   

Figure 5.41 :

Carte mentale de la place des Mosaïques (produite par un homme de 35 ans)

 

Sans vouloir forcement généraliser la perception contenue dans cette carte mentale, elle nous semble bien archétypale pour un certain nombre d’employés-usagers intéressés à la place comme espace de services plus que comme élément du paysage urbain. Bien évidemment, cette perception de la place des Mosaïques est la résultante d’interactions complexes entre les éléments de sa composition, de son positionnement au sein de la ville, des ambiances produites par ses fonctionnements, mais également des pratiques et des appropriations de son auteur. Nous essayerons de donner une vision d’ensemble de ces interactions dans le cadre du prochain module d’analyse.

 

4. Image urbanistique, image anthropologique, image de marketing

Le dernier exercice effectué sur la perception de la place des Mosaïques a été celui de répondre par l’outil de la représentation photographique à trois commandes différentes : une description urbanistique de la place se voulant objective et détachée, une description anthropologique de la place en tant qu’espace de vie et une image finalisée au marketing territorial de la place. Parmi les différentes représentations proposées par les étudiants de la promotion 2010-2011 du Master IMST de l’Université de Nice, nous avons retenus les images suivantes.

   

Figure 5.42 :

La vision de l’urbaniste – Une composition soignée et postmoderne pour une place peu fréquentée

 

L’image sélectionnée pour la vision de l’urbaniste est encore une fois une perception de la place depuis le haut. L’horizon haut permet d’avoir une vision d’ensemble de l’organisation de l’espace public et, dans le cas de la place des Mosaïques, donne également la juste importance à la composition des mosaïques couleur brique qui en constitue le revêtement. La composition de la place est également marquée par le bâtiment postmoderne percé par une porte monumentale dans l’axe médian de la place. Une lecture plus attentive permet également de percevoir la multitude d’équipements techniques nécessaires au fonctionnement de la place : bouches du parking souterrain, caisses automatiques, voies d’accès pour les véhicules utilitaires, mobilier urbain vairé, le tout bien intégré dans la composition générale de la place.

Au grand effort de composition et d’organisation de l’espace ne semble en revanche pas correspondre un fonctionnement de place publique capable de catalyseur des interactions humaines (économiques, sociales, etc.). Tout en étant observée dans une matinée de jour ouvré, la place semble relativement peu fréquentée. Deux petites terrasses bordent la porte monumentale et la vaste étendue surfacique semble être d’avantage un œuvre d’art à admirer qu’un espace public à utiliser et à s’approprier. Bien évidemment, l’urbaniste pourra mettre à côté de cette image un second cliché pris pendant les heures de pause du midi, montrant une certaine pulsation temporelle dans la fréquentation de la place.

   

Figure 5.43 :

La vision de l’anthropologue – Un moment de pause entre collègues de travail

 

La vision de l’anthropologue sur la place des Mosaïques est un zoom (depuis le haut) sur les bords des bouches d’aération du parking souterrain. Utilisé en tant que banc dans un moment de pause des bureaux, cet équipement accueille un moment de détente entre collègues de travail. La quotidienneté de ces moments de pause ne doit pas faire oublier leur importance dans la vie des entreprises, des employés et finalement, de la place. Pour les entreprises, il s’agit de moments où s’absorbent certaines tensions, se créent des dynamiques de groupe entre employés et s’échangent des idées et des points de vue, débouchant parfois sur des innovations au travail. Pour les employés, il s’agit de créer une certaine sociabilité dans un environnement conçu essentiellement sur des normes productivistes et de concurrence entre individus. Des pratiques émergent : hommes et femmes semblent se regrouper dans des groupes de discussion différents, partageant probablement des thèmes de conversation également différents. La cigarette devient est également une pratique courante dans ces moments de pause, surtout depuis son interdiction sur les lieux de travail. Pour la place, l’accueil de ces moments de pause signifie que son rôle de catalyseur d’interactions humaines, contrairement à ce qui avait pu être rapidement conclu dans l’image précédente, n’est pas nul. L’espace public se propose comme lieu neutre par rapport aux espaces de l'entreprise, comme lieu de relative liberté (on peut s’y détendre sans trop regarder l’étiquette, on y peut fumer, etc.) et propice au développement de sentiments d’appropriation (si non pas d’appartenance vue l’absence de véritables riverains).

   

Figure 5.44 :

Le marketing – Le nouveau visage de la ville de Nice : le quartier des affaires

 

Les quartiers des affaires font l’objet d’intenses campagnes de marketing auprès des investisseurs (pour l’achat des murs des bureaux) et des entrepreneurs (pour la location des mêmes murs). Dans cette image, la place des Mosaïques est ainsi mise à contribution de cette action de marketing pour l’ensemble du quartier des affaires de l’Arénas. Le marketing de la ville de Nice a été marqué depuis plus d’un siècle par son image de ville touristique littorale, éventuellement liée à des événements festifs (le carnaval) et sportifs (Paris-Nice, le tournoi de tennis, etc.). Par les codes subtils des architectures postmodernes (symboles d’ultra-modernité dans l’air du temps), des détails du mobilier urbain (montrant une architecture de qualité et pas une production low cost de simple centre tertiaire), par le style professionnel des personnes se déplaçant sur la place (pas de touristes en shorts avec appareil photo autour du cou), l’image souhaite renouveler le regard des investisseurs sur la ville de Nice. La capitale azuréenne s’est bel et bien dotée d’un centre d’affaires moderne et accueillant, compétitif et professionnel, en rupture avec l’image de la ville touristique du farniente.