Essentiel méthodologique : Entretiens, questionnaires et cartes mentales.
Pour reconstituer la perception d’une place publique de la part de ses usagers, la méthodologie choisie est de type qualitatif et s’appuie sur des outils communs à plusieurs sciences sociales. Le corpus initial de données doit être constitué par l’analyste. Il sera souvent textuel (retranscription de récits, regroupement de textes préexistants, réponses à des questionnaires), parfois iconographique. L’objectif de cet essentiel méthodologique est ainsi de présenter les principales méthodes que l’on peut employer auprès des usagers pour collecter des informations qualitatives sur leur perception de l’espace urbain, et notamment les entretiens, les questionnaires et les cartes mentales. Pour une présentation plus détaillée de ces méthodes, nous renvoyons à l'ouvrage de M. Grosjean et J.-P. Thibaud (2001).
Les entretiens
L’entretien est une forme d’interaction verbale entre l’enquêteur et la personne interviewée, régie par un certain nombre de conventions qui définissent son protocole. On distingue normalement les entretiens non directifs des entretiens semi-directifs. Dans l’entretien non directif, l’enquêteur pose une seule question à la personne interviewée ou lui propose un thème de discussion, lui laissant ensuite la plus grande liberté de parole. Les interventions de l'enquêteur, aussi neutres que possible, se bornent à des encouragements pour poursuivre et développer les sujets abordés. Dans l'entretien semi-directif, l'enquêteur dispose d'une liste de thème à aborder préalablement définie, qu'il introduira en fonction de l'évolution de l'échange, qui se rapproche ainsi d'une conversation.
Les entretiens non directifs se prêtent généralement mal à une analyse quantitative : chaque sujet ayant la possibilité de développer son discours comme il le souhaite, le résultat recueilli auprès de chacun sera très différent. On a recours alors à des méthode d'analyse de contenu qui, par des moyens divers, visent à tirer de chaque entretien (enregistré sur support numérique, puis retranscrit mot à mot) l'essentiel de ce qui est pertinent pour l'objectif poursuivi. Les données textuelles pourront par exemple être traitées selon les méthodes qualitatives de l’analyse de discours (Renkema 2004) ou, de façon plus quantitative, selon l’approche de la statistique textuelle (Lebart et al. 1994). Le discours est un instrument privilégié pour l’exploration de la dialectique entre représentations et pratiques, car il donne accès à des raisonnements, des éléments d’argumentation et d’explication et, d’autre part, à la manière dont les gens se situent les uns para rapport aux autres ainsi que dans leur environnent. En particulier, la mise en contexte des textes, l’interprétation des récits, l’analyse du jeu d’acteurs et des parcours biographiques sous-tendant les récits apparaissent des outils essentiels pour l’analyse des perceptions de l’espace urbain qui émergent de ces textes.
L’entretien permet ainsi de recueillir les objets du discours, les points de vue, les savoirs des personnes interrogées, d’aborder des récits, des explications. L’analyste tentera ensuite d’organiser de façon systématique ce recueil des mots, d’idées, d’opinions, en sélectionnant et en interprétant les éléments d’information. Ce qui compte c’est la mise en mots des perceptions, des sensations, des imaginaires liés aux images perçues de l’espace urbain en essayant de prendre en compte la mise en scène à laquelle les enquêtés se livrent (ce qu’ils laissent entrevoir, ce qu’ils cachent, taisent, déprécient ou valorisent).
Mais l’entretien ne permet pas toujours de produire une parole complète et exhaustive. Il implique par essence une co-construction, une co-production des discours entre enquêteur et enquêté. La mise en contexte des discours s’avère alors une nécessité et devra prendre en compte également les objectifs ayant motivé la production de l’entretien (débat autour d’un aménagement futur de l’espace urbain, conflit d’acteurs autour de la perception du paysage, etc.).
La complexité des protocoles d’analyse des corpus d’entretiens amène souvent à restreindre considérablement le nombre de personnes interviewées. Dans son travail sur la perception du paysage urbain de Boston, Los Angeles et Jersey City, Lynch (1960) se limite ainsi à un échantillon de 15 personnes sur chaque terrain. Avec des effectifs tellement réduits, les analystes ne cherchent normalement pas à atteindre la pleine représentativité de la population mère (l’ensemble des usagers de l’espace urbain ou toute autre sous-catégorie d’usagers). Ils se limitent souvent à assurer qualitativement une certaine diversité de l’échantillon retenu, sans mettre en place un véritable plan d’échantillonnage. Le but des entretiens est alors d’avantage heuristique (recherche de pistes d’explication et de compréhension, mise en évidence des cas paradigmatiques, etc.) que descriptif (reconstitution de l’état des perceptions parmi une population et des facteurs susceptibles de l’expliquer).
Les questionnaires
Les questionnaires sont des outils de collecte d’informations qualitatives et quantitatives auprès des usagers de l’espace urbain beaucoup plus rigide dans leur structuration. Les questionnaires consistent essentiellement dans une série de questions préalablement définies, que l’enquêteur formulera aux personnes interviewées pour collecter leurs réponses. D’autres informations concernant la personne interviewée pourraient être connues et notés sans qu’il y ait besoin de poser des questionnes spécifiques (par exemple le sexe, la date et l’heure de l’interview, les conditions météorologiques pendant l’interview, etc.). Plus particulièrement, on différencie les questionnaires fermés des questionnaires ouverts.
Dans un questionnaire fermé, le texte et l'ordre des questions y sont strictement prévus à l'avance et la personnes interrogée ne peut que choisir sa réponse dans une liste qu'on lui propose. Ce type de questionnaire demande un effort d’analyse préalable dans la prévision des réponses pertinentes aux objectifs de l’étude. Dans un questionnaire ouvert, en revanche, la formulation et l'ordre des questions sont fixés mais la personne la personne interrogée peut répondre comme elle le désire, permettant ainsi d’enrichir l’éventail des réponses collectées. Les questionnaires fermés sont particulièrement bien adaptés au recueil d'informations quantitatives (combien de fois un usager fréquente la place au cours de la semaine ?) et la mise en évidence de relations statistiques (la proportion d’opinion positives sur la perception de la place, diffère-t-elle selon la classe d’âge ?). L'analyse statistique peut aller plus loin que ces questions simples et il est possible de mettre en évidence des structures de réponse ou des causalités complexes (Sanders 1989).
L’utilisation d’un questionnaire auprès d’une population cible constitue une enquête. Rarement l’enquête par questionnaire pourra concerner de façon exhaustive toute une population. Pour des raisons pratiques de coûts et de temps ou pour l’impossibilité même de définir de façon exhaustive les individus appartenant à cette population (quelle serait la liste exhaustive des usagers d’un espace public ?) on se limite à interviewer un échantillon de cette population (méthode des sondages). Pour permettre l’inférence statistique sur l’ensemble de la population mère à partir des résultats de l’enquête, l’échantillon doit être représentatif de la population mère. En termes plus techniques cela veut dire que si l’échantillon est stratifié sur quelques variables clés, censées avoir un impact sur le type de réponses obtenues (par exemple le sexe et l’âge ou la classe socioprofessionnelle des personnes), nous devrons connaitre la probabilité de chaque strate de population d’apparaitre dans l’échantillon. Pour parvenir à un tel résultat on aura besoin de disposer d’une liste complète des individus de la population mère et d’un protocole de tirage aléatoire des individus à interviewer, selon la stratification choisie. Dans l’impossibilité de respecter ces procédures, une stratification par la méthode des quotas sera employée. L’enquêteur se fixera des quotas à atteindre pour les différentes strates de l’échantillon (quotas étant censés respecter les proportions observables au sein de la population mère) et évitera d’interviewer des individus supplémentaires dans une strate donnée, une fois son quota atteint.
L’enquêteur est normalement censé remplir le questionnaire à côté de la personne interviewée (enquête en face-à-face). Pour diminuer le coût et le temps de l'enquête, on la réalise parfois par téléphone et, plus récemment par Internet. Cependant, dans ce cas, l’enquête ne touchera que ceux qui ont le téléphone et dont le numéro est accessible. D'autre part, il est difficile de retenir l'attention de la personne interviewée au téléphone, ce que limitera ce type d'enquête à des questionnaires particulièrement courts. Dans tous les cas de figure, une stricte programmation du comportement de l'enquêteur est nécessaire pour que tous les individus se trouvent dans la même situation et que, par conséquent, leurs réponses soient comparables et puissent être dénombrées en vue d'une analyse statistique.
Pour donner un exemple de questionnaire d’enquête auprès des usagers d’un espace public, nous reproduisons dans ce qui suit le questionnaire utilisé auprès des usagers des places niçoises en ce qui concerne à la fois l’analyse des fonctions, des usages et des appropriations (module sur les fonctions) et celle des perceptions. Ce questionnaire est largement inspiré du questionnaire « usagers » mis au point par M. Bassand (2001) dans l’étude des trois places de la ville de Genève. On soulignera qu’aucune méthode de stratification d’échantillon n’a été employée par les étudiants ayant procédé au questionnement des usagers. Les résultats fournis dans le cadre de nos analyses ne seront ainsi pas utilisés pour des inférences robustes sur l’ensemble des usagers de la place et ont une valeur plutôt anecdotique, se référant aux réponses obtenues par les usagers rencontrés un jour précis dans une plage horaire donnée sur ces places.
Un seul questionnaire a ainsi permis de poser des questions aux usagers surs leur usages et leurs perceptions de la place. Les questions relevant des usages sont les numéros 1, 2, 3, 4, elles permettent de caractériser l’utilisation de la place d’un point de vue spatial et temporel. Les questions relevant de la perception sont les numéros 5, 6, 7, 8, 9, 10 qui permettent à l'usager de donner ses impressions sur la place. Une dernière catégorie de question permet d'avoir une idée du profil socio-professionnel de l'usager (11, 12, 13).
QUESTIONNAIRE USAGERS – place : ...............................date : …...................heure : …..........
1 / En se moment, passez-vous juste par ici, où êtes-vous venu pour une raison précise ?
a- je passe juste par ici pour me rendre ailleurs.
b- je suis venu ici pour une (des) raison(s) précise(s).
Si a : pour vous rendre dans quel quartier ?
Si b : pourriez-vous me dire la ou lesquelles ?
- voir un spectacle, exposition, participer à une fête
- travailler, suivre des cours
- boire un verre ou prendre un repas
- faire des achats
- lire (journal, livre)
- me reposer un moment
- accompagner des enfants
- flâner, me promener
- jouer, faire du sport,
- rencontrer des gens (inconnus)
- discuter, voir des connaissances
- visiter les lieux
- promener mon chien
- autres…
2/ D'où venez-vous ?
- quartier de Nice :
- en dehors de Nice (commune) :
- étranger (pays) :
3/ Combien de temps pensez-vous rester ici en ce moment ?
- le temps de répondre au questionnaire
- entre 5 et 15 mn
- entre 16 et 60 mn
- plus d’une heure
- ne sais pas
4/ A quel fréquence venez-vous ici ?
- une ou plusieurs fois par jour
- plus d'une fois par semaine
- entre une fois par semaine et une fois par mois
- à de rares occasions
- je n’y étais jamais venu avant
5/ Venez-vous ici pour des raisons pratiques ou plutôt parce que cet endroit vous plaît ?
- pour des raisons pratiques, si oui lesquelles ?
- cet endroit me plaît particulièrement
- les deux, si oui lesquelles ?
6/ Qu'est ce qui selon vous caractérise cette place, lui donne une ambiance particulière ?
(plusieurs choix possibles)
- les bâtiments, l'aménagement
- les gens qui l'a fréquentent
- les activités
- le trafic, la circulation
- les éléments naturels
- rien de particuliers
- autre…
- ne sais pas
Diriez-vous que cette place est... ou …. ?
- belle/laide
- morte/vivante
- attachante/repoussante
- sûre/inquiétante
- moderne/ancienne
- ordonnée/désordonnée
- banale/originale
- aménagée/naturelle
accessible/inaccessible
7/ Diriez-vous que cette place est importante ou pas pour la ville de Nice ?
- très importante/pas du tout
- autre
8/ Depuis des aménagements récents ou depuis quelques temps, diriez-vous que les gens qui y viennent ont changé ou pas ?
- beaucoup/pas du tout
- autre
9/ Sur les places publics, il y a parfois des éléments auxquels ont tient. Ici, y a t-il des éléments qui ne devrait pas disparaître ?
Oui/non, si oui lesquels ?
10/ Y a t-il des éléments au contraire qui devraient disparaître ?
Oui/non, si oui lesquels ?
11/ Quel est actuellement votre situation professionnelle ?
- étudiant
- employé
- indépendant
- sans emploi
- retraité
12/ Sexe
- Femme
- Homme
13/ Age
- 15-25 ans
- 26-45 ans
- 46-65 ans
- 66 ans ou plus
La carte mentale
En ce qui concerne les documents iconographiques permettant une analyse de la perception de l’espace urbain, l’analyste pourrait avoir recours à un corpus de représentations de cet espace de la part d’artistes (peintres, photographes, cinéastes, etc.). Ces derniers sont cependant des observateurs extra-ordinaires au sens littéral du terme, utilisant l’espace urbain dans un projet de création artistique nourri par un bagage culturel et des attitudes bien particuliers. Dans le but d’analyser les perceptions des usagers ordinaires de l’espace urbain, les géographes et les urbanistes utilisent ainsi l’outil des cartes mentales. Différents protocoles d’analyse formalisée d’ensembles de cartes mentales s’offrent ensuite au géographe-urbaniste (statistiques sur les éléments de paysage urbain présents dans le corpus, sur les échelles de représentation, sur le niveau de détail, sur les symboles évoqués, etc.).
La carte mentale peut être définie comme la représentation organisée qu’un individu se fait d’une partie de son environnement spatial. Selon P. Merlin et F. Choay (2009), la carte mentale est une représentation subjective de l'espace urbain par un habitant à partir des lieux qu'il a l'habitude de fréquenter. La mémoire joue un rôle important dans le processus perceptif. L’individu se souvient d’éléments marquant qu’il à pu retenir d’un lieu ou d’un parcours. Ainsi, un spécialiste peut proposer à un usager de retranscrire sur une carte les lieux qu’il fréquente et dont il garde une trace en mémoire. La carte mentale est un outil qui permet la rencontre entre la dimension mentale, cognitive, et la dimension matérielle des représentations.
Pour obtenir une carte mentale, on demande aux personnes enquêtées de dessiner sur une feuille de papier blanc un espace donné (quartier, centre-ville, agglomération, etc.), sans que la personne interviewée ait la possibilité de regarder le paysage urbain dont on demande la représentation. Le but du dessin est en effet de reproduire l’image mentale, filtrée, conceptualisée et mémorisée des lieux, sans qu’elle soit influencée par des tentatives de se rapprocher à une réalité visuellement perçue. Bien sûr, les personnes interviewées sélectionnent certains éléments et en oublient d’autres. Des aspects sont soulignés, voire exagérés, d’autres minimisés. En comparant les cartes entre elles et avec une carte topographiques, en rapportant les déformations et les préférences en matière d’éléments retenus aux profils sociodémographiques, aux appartenances culturelles et aux pratiques des lieux des personnes enquêtées (éléments établis de manière complémentaire lors d’enquêtes), on arrive à démêler, comprendre, et expliquer la vision que les gens ont de ce lieu et les pratiques qui en découlent.
L’idée de la carte mentale a été d’abord introduire par les psychologues, dans la tentative d’étudier les modalités de la perception spatiale des individus. Elle a été successivement développée par les géographes comme outil d’analyse des espaces en tant qu’espaces perçus. P. Gould et R. White (1974) explorent ainsi par le biais de cartes mentales la perception des pays, des régions et des ensembles géopolitiques de la part des habitants aux appartenances socio-ethniques différentes. Ils proposent également les premiers traitements visant à généraliser les représentations des cartes mentales et à les soumettre à des traitements quantitatifs. K. Lynch (1960) a été parmi les premiers auteurs à employer les cartes mentales pour la représentation des espaces urbains. Plus précisément, Lynch détermine deux types de cartographies parmi les représentations des cartes mentales des habitants de Boston, de Los Angeles et de Jersey City. Le premier est la cartographie d’itinéraire, carte mentale qui reproduit une série de connexions en chaîne entre les points sélectionnés et les indices qui leur sont associés. Le second est la cartographie de survol, organisation de toute une série de lieux selon un plus complexe réseau de connexions et de relations associatives qui relève d’avantage d’un apprentissage de l’espace de manière heuristique, visant à combler également les interstices qui ne sont pas directement explorés par la pratique quotidienne.
Pour se limiter à la géographie française, les recherches de C. Cauvin (1984) et celles de B. Rowntree (1997) sur la représentation des espaces urbains de Strasbourg et d’Anger, respectivement, font amplement recours à l’outil de la carte mentale. Plus particulièrement, C. Cauvin analyse les déformations apportées par les cartes mentales à l’espace euclidien de la carte topographique, pour les mettre en relation avec les pratiques de l’espace urbain.
Les cartes mentales s’organisent suivant des composantes facilitant la représentation de l ‘espace : axes structurants (routes), relations entre ces axes (carrefour), limites perçues (administratives, ethniques, etc.), propriétés symboliques (centre-ville, monuments) et les fonctions (activités dominantes). L’espace est considéré comme un territoire dans lequel des individus aux représentations différentes agissent selon leurs pratiques sociales et spatiales, complétée par la charge idéelle qui relève de leurs valeurs. La carte mentale est alors susceptible de relever les dimensions cachées du sens des lieux, plus facilement que des longs entretiens. La représentation graphique est quelque chose qui remplace l’environnement physique, le calque (tout en se permettant un certain nombre de transformations), en est à la fois le modèle et la simplification. Les cartes mentales sont alors des objets cognitifs, des témoignages des relations que les sujets entretiennent dans et avec le territoire.
A une lecture plus attentive, on dénomme carte mentale à la fois le modèle mental de l’organisation de l’espace de la part d’un individu et le dessin qui objectivise ce modèle mental. En tant que modèle mental, la carte mentale assure plusieurs fonctions : une fonction adaptative de résolution de problèmes spatiaux (se situer, s’orienter, atteindre des destinations), une fonction symbolique de communication interpersonnelle (communication des lieux) et une fonction expressive de l’identité personnelle (souvenirs, croyances, sentiments personnels). En tant que dessin, l’interprétation de la carte mentale devra tenir compte de la différente habilité des sujets interviewés à se servir de la représentation graphique. Le dessin pourra alors révéler les éléments identifiés par l’individu dans un environnement et comment ils sont situés les uns par rapport aux autres, quelle sélection les sujets opèrent pour formaliser l’organisation de l’espace spécifique à un territoire, ou encore quels sont les parcours et les lieux fréquentés.
Figurine 5.8 : Exemple de carte mentale à l’échelle d’un quartier (produit par une femme de 65 ans) |
Figurine 5.9 : Exemple de carte mentale à l’échelle d’une ville (produit par une femme de 65 ans) |
L’exploitation des cartes mentales en tant qu’outils d’analyse de la perception des espaces urbains pose néanmoins plusieurs problèmes. D’abord, il est extrêmement difficile de contrôler, au sens statistique du terme, l’expérience que les sujets ont de l’espace reproduit dans la carte mentale et cela dans le but de mettre cette expérience en relation avec les caractéristiques de la carte (éléments retenus, échelle, niveau de détail, déformations de l’espace, etc.). Comme déjà remarqué, il faut ensuite prêter une certaine attention à la correspondance entre le modèle mental de la carte et celui reproduit en dessein. Ensuite, une fois validés les cartes mentales dessinées en tant qu’objectivisation des représentations mentales, il se pose le problème de leur analyse. En particulier, comment coder la localisation des éléments de dessin et intégrer les changements de distance ? Comment synthétiser un corpus de plusieurs dizaines de cartes mentales ? Comment appréhender la symbolique des structures spatiales dominantes qui ressortiraient des différentes cartes mentales ? Comment prendre en compte l’hétérogénéité de l’information recueillie ? Le dépouillement d’une série de cartes mentales doit en effet faire apparaitre des caractères communs à toutes, des caractères communs à quelques unes, et d’autres enfin propres à chacune. Il faut encore respecter les exigences de critères de validité interne, de validité externe et de fiabilité lors de l’interprétation des données… Finalement, comment raccorder les informations dérivables des cartes mentales avec celles collectées dans le cadre d’entretiens ou d’enquêtes ? Ces points ont été différemment abordées par les auteurs ayant travaillé avec les cartes mentales. Des solutions commencent à émerger, mais on est encore loin d’une méthodologie consensuelle d’analyse et d’exploitation pratique des connaissances fournies par les cartes mentales.
En conclusion, la carte mentale suscite des controverses, en raison de ses conditions délicates de production (échantillonnage, reproduction des mêmes conditions pour l’exercice), de ses difficultés d’interprétation (échelle de réalisation très différente d’une carte à l’autre, capacités de dessin de chacun différentes) et d’utilisation. Il s’agit néanmoins d’un outil particulièrement riche d’informations sur la perception d’un espace, en forme directement spatiale et complémentaire à d’autres sources. On recommande ainsi d’utiliser la carte mentale en la croisant avec d’autres types de données sur la perception de l’espace (entretien, questionnaire), susceptibles de fournir des clés d’interprétation de la carte et des informations sur leurs auteurs. Dans nos applications sur les places niçoises, nous nous limiterons à fournir quelques exemples de cartes mentales produites par les usagers de la place, pour montrer leur intérêt et permettre au lecteur d’apprécier ce type de représentation subjective de l’espace, mai sans proposer des interprétations particulières de ces exemples relativement anecdotiques.