La dégradation des sols dans le monde

LES RELATIONS ENTRE LES SOLS ET LA TOPOGRAPHIE

Les sols représentent la partie superficielle et meuble de la croûte terrestre. Ils proviennent de l’altération et de la transformation d’une roche mère originelle par les agents climatiques et les activités biologiques. Au final, ils constituent un complexe organo-minéral, plus ou moins structuré et développé, capable de fixer les éléments nutritifs nécessaires au développement de la végétation et par là même à celui de la vie sur terre. Comme tous les éléments constitutifs de l’écorce terrestre, les sols sont soumis à l’érosion qui conduit progressivement à leur différenciation en fonction de leur position sur le versant…

Ainsi, où que l’on se place à la surface de la Terre, exception faite - peut-être - des régions polaires et des grands déserts, il est possible de constater une étroite relation entre les sols et la topographie. Généralement, cette relation s’exprime au travers de l’épaississement et de la simplification des profils pédologiques à mesure que l’on se rapproche des talwegs et inversement, par l’amincissement et la diversification des profils de sols à proximité des lignes de crêtes.

 

L’objectif de cet Essentiel est de présenter cette relation entre les sols et la topographie. Cette relation sera analysée en s’appuyant sur l’exemple du petit bassin versant de Kamech – Cap Bon, Tunisie (figure 1).

Le bassin versant de Kamech, Tunisie
Figure 1. Le bassin versant de Kamech, Tunisie

1. Le paysage de Kamech

Localisé au cœur du Cap Bon (figure 1) et situé à environ 150 km à l’est de Tunis, Kamech est un petit bassin versant de forme rectangulaire (250 hectares) limité en aval par une retenue collinaire (140000 m3) en eau la majeure partie de l’année (figure 2).

Ce paysage s’inscrit à la limite entre le climat méditerranéen sub-humide et le climat semi-aride qui caractérise la majeure partie de la Tunisie. Cette particularité lui confère des températures relativement douces, même en hiver, et un volume de pluie assez important (compris entre 450 mm et 600 mm) qui permet le maintien d’une végétation assez dense et relativement pérenne ainsi que la mise en culture d’une part importante de sa superficie.

 

Sur le plan géomorphologique, Kamech est un exemple caractéristique de relief appalachien. Il se définit géologiquement par une prédominance d’épaisses couches marneuses qui alternent avec des affleurements de grès nettement moins développés (figure 3).

En dépits d’une altitude et d’une dénivellation moyennes relativement faibles (298 m et 108 m respectivement), les pentes de ce bassin versant peuvent être très marquées : elles atteignent fréquemment 55 % entre les plateaux amont et le lit mineur de l’oued Kamech inscrit dans le sillon appalachien.

De part leur structure lithologique, les sols qui se développent à la surface de ce paysage peuvent atteindre des épaisseurs importantes lorsqu’ils apparaissent sur le substrat marneux. A l’inverse, ils sont nettement plus maigres dès lors que l’on est sur un affleurement de grès. Il est en outre important de signaler que ce paysage est fortement soumis à l’érosion de ses sols : les mesures d’envasement dans la retenue collinaire montrent une perte de 21% de sa capacité initiale entre 1991, date de sa construction, et 1999.

2. Quelques mots concernant les influences de la géologie sur la nature des sols de Kamech.

Une géologie contrastée conduit à d’importantes variations dans la nature des sols. La figure 4 donne un exemple de ce type de variations. Elle correspond au profil topographique noté « 1 » sur la figure 5.

Le profil en question ne dépasse pas 350 m de longueur, pourtant sur cet espace très restreint, 5 types de sols se succèdent. Ainsi depuis l’amont jusqu’à l’aval il est possible de rencontrer :

 

  • Des lithosols développés sur une alternance rapide grès/marnes sur le premier talus,
  • Des sols bruns à caractère vertique en place et colluviaux sur le versant régulier. Ces sols se développent sur un affleurement marneux de dimensions importantes,
  • Un pseudogley traduisant de la présence d’une nappe d’eau superficielle temporaire sur le second affleurement gréseux,
  • Une quasi absence de sol et des marnes affleurantes sur le second talus indiquant une très forte érosion,
  • Enfin apparaissent des sols bruns vertiques très profonds marqués par une présence d’eau quasiment pérenne.

Les principaux changements dans la nature des sols sont ici impulsés pas les variations lithologiques puisque entre les grès et les marnes, des sols aux propriétés différentes se développent (figure 4).

 

Toutefois, il est d’ores et déjà possible de constater une influence de la topographie : pour un même substrat géologique des sols différents apparaissent suivant l’inclinaison de la pente et la position sur le versant. Ces différences se matérialisent :

 

  • Soit par des différences significatives de profondeur, très visibles pour tous les sols développés sur marnes (figure 4),
  • Soit par des modifications des propriétés physiques, remarquables notamment pour les sols développés sur grès.
  • Soit par les deux à la fois.

 

Ainsi, si la géologie influence considérablement la nature des sols en agissant notamment sur leurs propriétés intrinsèques, il semble que la topographie soit un facteur essentiel de leur différenciation puisqu’elle entraîne des nuances qui résultent des dynamiques hydriques et érosives qu’elle autorise. C’est ce que nous allons démontrer dans le point suivant.

 

3. L’impact de la topographie sur les sols de Kamech.

La relation entre les sols et la topographie se matérialise au travers d’une règle simple : les sections amont présentent la plupart du temps des sols moins développés, c’est-à-dire moins épais, que les sections aval. Ceci est dû au fait qu’en amont les sols sont soumis, du simple fait de leur position, à des phénomènes d’ablation des sédiments tandis qu’en aval ils affichent plutôt une tendance à l’accumulation. Les sections intermédiaires, les versants au sens strict, renvoient quant à eux à des dynamiques variant de trans-érosif à trans-accumulatif selon la position sur le versant, l’inclinaison de la pente et l’intensité de l’épisode érosif.

 

Nous allons tenter de mettre cela en évidence sur le bassin versant de Kamech en nous appuyant sur les profils 2 et 3 (figure 5).

Ces deux profils s’inscrivent dans un même ensemble de collines arrondies délimitées à l’amont et à l’aval par des talus qui leur sont à peu près perpendiculaires. Les figures 6 et 7 montrent les types de sols présents, en coupe tout d’abord et en plan ensuite.

 

Le profil 2 correspond à la section amont de cet ensemble collinaire, le profil 3 correspond à sa partie aval. De cette manière, il est possible de comparer l’ensemble des sols qui s’inscrivent dans ce système de pentes. Trois remarques sont alors possibles :

 

  • La première est que les sections amont de ces deux profils présentent des sols identiques sur une distance de 40 mètres environ alors qu’il n’en va pas de même dès que l’on dépasse ce seuil. D’ailleurs, en amont de ce seuil, les sols sont globalement identiques avec ceux observés dans la section aval du profil 1 (figure 4). Les contextes géologiques, topographiques et hydrodynamiques sont en effet globalement les mêmes pour ces trois espaces distincts
  • La seconde est que le profil 2 présente plus de contrastes pédologiques que le profil 3, traduisant ainsi une complexité plus grande du milieu naturel, au moins de ce point de vue…
  • La troisième est que les sols sont plus épais et plus réguliers le long du profil 3. Ceci est le témoin, en première approximation, des phénomènes accumulatifs existant dans les sections aval des versants.

Les remarques formulées mettent en évidence concrètement les règles théoriques exprimées. Ainsi, lorsque le « profil amont » affiche une dizaine de changements importants, le « profil aval » n’en présente que quatre. Il faut toutefois entrer dans le détail pour comprendre comment se font ces changements.

 

La première des remarques permet déjà de comprendre l’importance de la topographie dans la nature et la répartition des sols : les talus sur marnes présentent des sols très peu développés alors que partout ailleurs dans ce paysage, les marnes donnent naissance à des sols profonds. Cette distinction est essentiellement liée au facteur pente. Les talus affichent en effet des pentes plus marquées que les versants. Ceci implique alors une circulation plus rapide de l’eau, et donc sa présence sur un temps trop court au bon déroulement de la pédoplasmation. Ceci induit également une érosion accrue, et donc un dégagement rapide des sols établis en ces lieux. Ces facteurs combinés aboutissent ainsi à la première différenciation indépendante de la lithologie puisqu’un même support géologique peut donner naissance à deux types de sols très différents.

 

Suivant la seconde remarque, il semble que ce soit surtout la structure géologique qui entraîne les principaux changements dans la nature des sols de ce paysage : les alternances rapides grès/marnes présentes au milieu du profil 2 (figure 6) entraînent des distinctions significatives dans les sols. En effet sur les grès se forment des sols sableux, d’une vingtaine de centimètres d’épaisseur, tandis que des lithosols plus argileux et nettement moins développés apparaissent sur les couches marneuses. De plus, il n’est pas rare de voir dans ce secteur les marnes ou les grès apparaître directement à la surface, entrainant autant de distinctions particulières dans la nature et la disposition des sols en ce lieu. Si ce phénomène s’explique partiellement par la géologie, c’est véritablement la topographie qui entraîne les principales différences pédologiques. Ce secteur se localise en effet sur un sommet. A l’échelle du versant dans son ensemble, cela explique la faible épaisseur des sols : les sédiments sont arrachés puis transportés en aval.

Mais l’érosion agit aussi très localement, en fonction de la microtopographie. Elle conduit alors au dégagement des couvertures pédiques en certains points et à leur accumulation temporaire quelques décimètres plus loin. Au final, les processus à l’œuvre conduisent à la mise en place d’une mosaïque dans laquelle se succèdent latéralement des sols sableux, des sols argileux, des éléments meubles de roches et des affleurements de roches cohérentes en surface.

 

Cette hypothèse relative à l’importance du facteur topographique est également confirmée par le fait que la même alternance grès/marnes apparaît au même niveau du profil 3 (figure 6) mais qu’elle n’entraîne pas de telles distinctions : les sols y sont en effet plus monotones et plus épais. Ceci est tout à fait normal puisque ce secteur se localise à proximité du talweg et qu’il est donc caractérisé par des processus essentiellement accumulatifs. Il semble dès lors que la topographie soit, au moins dans l’exemple choisi, le facteur primordial pour appréhender la nature des sols et comprendre leurs variations latérales puisqu’elle entraîne des distinctions majeures pour un même type de substratum rocheux. Toutefois, les changements impulsés par la topographie paraissent moins flagrants puisqu’ils impliquent systématiquement des matériaux similaires, mais remaniés par rapport à ceux d’origine. Par exemple, la plupart des sols de Kamech développés sur les marnes sont des sols argileux, vertiques et hydromorphes. Ils présentent donc tous des caractéristiques globalement similaires qui ne permettent pas de les différencier directement… du moins pas aussi nettement qu’avec les sols développés sur les grès : la mosaïque de sols présentée n’est en quelque sorte que relative puisque ce sont toujours les mêmes matériaux qui reviennent, mais il est certain que le profil amont est nettement plus diversifié que le profil aval (figure 6), ce qui confirme clairement l’importance du facteur topographique dans la nature et la répartition des sols.

 

La troisième remarque est alors en quelque sorte déduite de la précédente. Elle est relative à l’épaississement et à l’homogénéisation progressive des structures du profil 3. Ce phénomène implique, de fait, la position des sols sur le versant et donc la topographie. Dans cette partie du paysage, les sols sont, dans leur partie superficielle, la résultante directe des apports de sédiments provenant de l’amont, c’est-à-dire à la fois de l’amont du profil 3 mais également du profil 2 (figure 7). Il est alors possible d’en déduire que les processus de pédoplasmation, même s’ils sont très présents, ne sont pas suffisamment efficaces ou en tout cas pas assez rapides pour conduire aux distinctions qu’ils permettraient normalement, prouvant ainsi l’ampleur et l’importance du facteur topographique dans la nature des sols et dans leur répartition. À l’inverse il est directement possible de remarquer que les sols du profil 2, pour un même contexte géologique, sont plus diversifiés : leurs profondeurs sont très variables, leurs limites avec la roche mère sont moins régulières, leur nature change rapidement. Les « coulées de sols » depuis le profil 2 vers le profil 3 (figure 7) renforcent cette hypothèse, illustrent alors concrètement ces propos et mettent une fois encore en avant l’importance de la topographie dans la nature et la répartition des sols dans ce paysage.

Pour conclure

Nous avons tenté, au travers d’un exemple précis, d’expliquer la nature des sols dans un paysage donné. Si la géologie semble induire en première approximation les principales différences pédologiques, ce n’est pas le seul facteur à prendre en compte pour comprendre leur répartition. La nature des sols et leur localisation dépendent en effet fortement de la topographie, au travers de l’inclinaison de la pente d’une part puisqu’elle détermine l’intensité des processus d’érosion et de la position sur le versant qui définit les conditions d’ablation, de transport et de dépôt des sédiments.