La dégradation des sols dans le monde

La dégradation des sols dans le monde

"LAND OWNERSHIP"

(Consulter le site de l'IFAD pour les chiffres cités dans cet Essentiel)

Le 20 juin 2001, Martin Royackers fut tué d’un coup de fusil devant la porte de sa paroisse à Annotto Bay au Jamaïque. Martin était membre de la province canadienne de la Compagnie de Jésus (les Jésuites) et, enfant, avait été élevé sur une exploitation agricole au Canada. Quelques semaines avant son décès, son supérieur avait reçu des avertissements de mort à cause de leurs efforts à trouver des terres pour les paysans Jamaïcains vivant dans la pauvreté.

Le même sort a été réservé au Père Gabriel Maire tué au Brésil et dont « les indices désignent la mort commanditée, qui a pu se produire pour des conflits liés à la terre » (Source : Revue « La Vie », 30 août, 2007, dans l’article intitulé « Qui a tué le curé des pauvres ? » pp. 42-61.) .

Aujourd’hui, le Frère Henri Burin des Roziers, Dominicain au nord du Brésil, est menacé de mort pour son combat aux côtés des paysans sans terre (Source : Revue « La Vie », 6 décembre, 2007, dans l’article intitulé « Frère Henri menacé de mort », pp. 42-61.).

Des dizaines d’exemples similaires pourraient être cités ; le meurtre de personnes cherchant à améliorer la vie des pauvres en luttant pour leur donner accès à des terres fertiles. Environ 75% des pauvres de la Terre habitent dans des milieux ruraux où ils dépendent de la production agricole et où la répartition des terres est inégale.

 

Dans les pays riches, les populations agricoles représentent souvent de 2% à 5% de la population active. Dans les pays pauvres, ce chiffre peut atteindre 90% de la population, surtout dans des régions difficilement accessibles et où les habitants ont peu d’accès à l’éducation. La terre représente donc encore aujourd’hui la principale source d’alimentation, de sécurité et de revenu pour des centaines de millions de personnes. Les pauvres sans un accès sécurisé à des terres (habitants du pays, réfugiés de conflits ou de catastrophe écologiques) sont parmi les populations les plus vulnérables de la planète.

Dans beaucoup de pays du Tiers monde, la production agricole demeure l'une des principales sources de richesse du pays. Les terres fertiles appartiennent presque systématiquement aux centres de pouvoir du pays : l’état, les multinationaux, quelques familles extrêmement riches… Les systèmes de gestion communaux, où les terres appartenaient à la tribu ou au village et non pas aux individus, sont progressivement remplacés par des systèmes de propriété privée. Ceci a commencé par le colonialisme où certaines terres ont été redistribuées dans les intérêts des colons sans prise en compte de droits existants. Au Kenya et en Afrique du Sud, des populations ont été déplacées de leur terres et ont dû s’installer sur des terrains plus marginaux : pentus, sols squelettiques, manque d’eau… Après la colonisation politique, il y a eu la colonisation économique. Des multinationaux ont pris possession des terres les plus intéressantes pour des productions exportatrices : thé, café, cacao, fruits… La politique des Programmes d’Ajustement Structuraux de la Banque Mondial et du Fonds Monétaire International a souvent été accusée d’avoir aggravé la condition des pauvres en insistant sur des productions exportatrices au détriment d’une autosuffisance alimentaire. Aujourd’hui, les conflits civils qui déchirent beaucoup de pays en voie de développement, et plus particulièrement en Afrique, servent parfois à déplacer des milliers de personnes qui perdent leurs terres définitivement. Le phénomène s'aggrave aujourd'hui par l'achat de terres dans les pays pauvres (notamment sur le continent africain) par des pays disposant de peu de terres fertiles (Aarabie Saoudite et les Emirats Arabes Unis) ou des fortes densités de population (Japon et Corée du Sud).

 

Les inégalités ne sont pas limitées à des différences entre riches et pauvres, elles sont aussi fortement pénalisantes pour les femmes. Au Kenya, par exemple, 70% de la main d’œuvre provient des femmes, qui ne représentent que 1% des propriétaires. En Inde, au Népal et au Thaïlande, seulement 10% des femmes sont propriétaires de terres. Inévitablement, les droits d’accès aux terres dépendent des relations avec des hommes ou enfants et s’arrêtent lors de ruptures dans ces relations. Les femmes sont donc dans une situation particulièrement dépendante et vulnérable dans un contexte qui est lui-même déjà très précaire.

 

Pour beaucoup, la concentration des terres dans de grandes exploitations est synonyme de modernité et de meilleurs rendements. Cependant, dans les pays pauvres, le contraire est le plus souvent vrai. Un rapport de la Banque Mondiale en 2005 a montré que les pays qui avaient des distributions de terre plus égalitaires ont connu des taux de croissance deux à trois fois supérieurs aux systèmes inéquitables entre 1960 et 2000. En Chine, la réforme de l’accès aux terres entre 1970 et 1980 a contribué à la plus grande diminution de pauvreté dans les temps modernes. Plusieurs pays ont entrepris des programmes de réforme des droits de propriété, mais dans certains, tels que l’Inde, le Pakistan ou les pays de l’Amérique latine, les intérêts des grands propriétaires ont été un obstacle à une véritable redistribution. Là où les réformes ont été appliquées, une baisse de pauvreté est pratiquement systématique : en El Salvador, une augmentation de 10% dans l’acquisition de terres a contribué à faire baisser la pauvreté de 4%. En Inde, les Etats qui ont connu la plus forte diminution de pauvreté sont aussi ceux qui ont mis en place des vraies réformes.

 

Dans les prochaines années, en absence d’une véritable politique de redistribution des terres, par l’acquisition ou un droit d’accès sécurisé, il est probable que la pauvreté dans les milieux ruraux va s’aggraver. Il est estimé que la population rurale dans le monde va continuer à progresser jusqu’aux années 2020-2030. La conséquence est que plus de personnes auront à partager moins de terres (5 à 10 million d’ha par an perdu à la dégradation) : dans beaucoup de pays pauvres, la superficie exploitée par famille a fortement diminuée dans les dernières décennies. Le maintien de la fertilité du sol dans ces conditions dépend des investissements en mesures de préservation et restauration qui ne sont possibles que si les paysans sont propriétaires de leurs terres. Notons enfin que la situation risque d’être aggravée par le changement climatique.