La dégradation des sols dans le monde

La dégradation des sols dans le monde

III LES FACTEURS D'EROSION

Les facteurs d’érosion influencent l’intensité des processus de détachement, de transport et de dépôt. Les facteurs agissent donc sur les processus qui, eux, conduisent à des formes d’érosion spécifiques. Nous pouvons en citer cinq :

III.1 La végétation

Elle est de loin le facteur le plus important. La végétation vivante protège la surface du sol de l’impact des gouttes de pluie, et donc du détachement par le splash ; les tiges et troncs forment des obstacles qui ralentissent la vitesse du ruissellement, ce qui réduit le détachement par le ruissellement ainsi que sa capacité de transport. Les racines forment un réseau près de la surface qui tient le sol en place, augmentant ainsi sa résistance au détachement. Les feuilles mortes et débris végétaux protègent la surface de l’impact des gouttes, ralentissent le ruissellement, et ajoutent de la matière organique au sol, ce qui le rend plus résistant à l’érosion.

La relation entre végétation et l’érosion n’est pas simple :

  • Elle dépend d’une part de la densité du couvert végétal. L’effet protecteur d’une culture agricole n’est souvent pas efficace avant environ 40-50% de couvert végétal et il y a peu de différences au-delà de 80-90%.
  • Elle dépend, d’autre part, du type de végétation : des plantes à feuillage haut sont moins efficaces parce que les gouttes d’eau qui tombent des feuilles ont le temps d’atteindre une vitesse presque égale à celle de la pluie. Même la forme de la feuille peut jouer en altérant la taille de la goutte qui tombe au sol (l’énergie cinétique d’une goutte qui tombe à la surface est approximativement proportionnelle à mv2, où m=masse et v=vitesse). Des feuilles qui concentrent l'eau à leur surface pour agrandir la taille des gouttes peuvent en effet provoquer une érosion sous la couronne si le sol est nu.

III.2 La pluie

C'est souvent le deuxième facteur d’importance après la végétation. Il n’y a ruissellement que quand la vitesse avec laquelle la pluie arrive au sol est plus importante que la vitesse avec laquelle l’eau entre dans le sol. Dit autrement, le ruissellement est la différence entre l’intensité de la pluie et le taux d’infiltration d’eau dans le sol (R=P–I, en mm h-1). Les études sur le ruissellement font souvent référence au « coefficient de ruissellement ». Le coefficient de ruissellement est le rapport de la pluie ruisselée sur la pluie totale * 100 (CR=R/P*100). Le coefficient de ruissellement est une mesure utilisée par les ingénieurs dans le dimensionnement d’ouvrages de génie civile mais qui demeure un indice relatif qui a moins de valeur qu’une mesure de débit instantané : 50/100 mm h-1 et 10/20 mm h-1 ont le même CR mais les risques d’érosion sont beaucoup plus importants dans le premier cas.

III.2.1) L’intensité de la pluie

C'est une caractéristique importante de la pluie : d’une part, elle joue sur le débit du ruissellement, et donc sur le détachement et la capacité de transport de l’écoulement ; d’autre part, elle influence directement le détachement du sol par le splash. Puisque les gouttes de pluie à forte intensité ont tendance à être plus grosses que les gouttes de pluie à faible intensité, la relation entre détachement de sédiments et intensité de pluie n’est pas linéaire : le détachement augmente approximativement avec le carré de l’intensité de la pluie (D∞I2). Si l’intensité est doublée, le détachement est augmenté par 4 (22=4), si l’intensité augmente par 3, le détachement augmente par 9 (32=9)...

III.2.2) La pluie totale

C'est la deuxième caractéristique importante puisque la quantité de sédiments érodée dépend du débit et de la concentration en sédiments (Consulter le chapitre sur Les processus d'érosion). Plus le débit est important, plus la quantité de terre exportée est importante. Une pluie de 80 mm déplacerait approximativement 2 fois la quantité de sédiments qu’une pluie de 40 mm, à intensité égale (ce qui est rarement le cas, puisque les grosses pluies ont souvent une intensité moyenne plus forte et déplacent donc beaucoup plus de sédiments car l’impact de l’intensité s’ajoute à celle de la pluie totale).

III.2.3) La répartition saisonnière de la pluie

Une troisième caractéristique est la répartition saisonnière de la pluie. Plusieurs cas de figures se présentent, les plus communs sont les suivants :

  • Des hivers pluvieux : les pluies fréquentes sont de faible intensité. Le sol demeure saturé, ce qui provoque un ruissellement même avec une faible intensité de pluie.
  • Des orages convectifs au printemps : les cultures d’été n’ont pas encore émergé, le sol est nu, et ces pluies temporellement et spatialement localisées ont une forte intensité et érosivité.
  • Des pluies fortes après une longue période de sécheresse : ceci est le cas en zone semi-aride. Après une longue saison sèche, il y a peu de végétation pour protéger la surface du sol, alors les premières pluies de la saison humide sont plus érosives que celles de la fin de saison quand la végétation est mieux établie.

III.3 La topographie

Trois aspects de la topographie sont à prendre en compte – l’inclinaison de la pente, la longueur de pente, et la présence de concavités (et talweg) et convexités. Ces facteurs ne sont pas entièrement indépendants.

III.3.1) L’inclinaison de la pente

L’inclinaison de la pente est sûrement l’aspect topographique le plus important. Elle joue moins sur des très courtes pentes (quelques mètres) que sur des pentes plus longues puisque le ruissellement a besoin d’une certaine distance pour atteindre sa vitesse d’écoulement maximale. Le débit, et surtout la vitesse d’écoulement, détermine à quel moment une rigole va se creuser. La vitesse dépend d’une part de la rugosité du sol et d’autre part de l’inclinaison de la pente, comme le montre les équations de Chezy (1769) et Manning (1889). La transition entre érosion diffuse et érosion linéaire est donc en partie déterminée par l’inclinaison de la pente.

  • Chezy (1769) : v = C (RS)0.5
  • Manning (1889): v = k((R2/3 * S0.5)/n)

Symboles: C = coefficient de rugosité de Chezy ; n = coefficient de rugosité de Manning ;
v = vitesse moyenne de ruissellement ;
R = rayon hydraulique ((largeur*profondeur)/(2*largeur + profondeur)),
s= pente ;
k = 1 en unités SI.

III.3.2) La longueur de pente

Elle est moins importante que l’inclinaison. Au-delà d’une centaine de mètres, la longueur a peu d’influence puisque la vitesse d’écoulement maximale a été atteinte depuis longtemps et il y a un certain équilibre entre les apports d’eau venant de l’amont et les départs d’eau en aval. De plus, il a souvent été remarqué que le ruissellement diminue le long d’un versant de l’amont vers l’aval, peut-être dû à des zones d’infiltration plus élevées le long de la trajectoire de l’écoulement de surface.

III.3.3) Les zones de concentration de ruissellement

Les concavités et talwegs sont des zones où peuvent souvent être observées des rigoles et ravines. Comme il a été souligné ci-dessus, les anciens ruisseaux supprimés par l’accroissement des parcelles agricoles sont des sites privilégiés pour les rigoles et ravines.

III.3.4) Les convexités

Ces endroits, souvent aux sommets de versant, sont les premiers à être décapés et les premiers à révéler des affleurements de roche mère, même s’ils ne montrent pas forcément des signes d’érosion concentrée. La forme arrondie de la surface fait que les sédiments sont plus facilement dispersés sans compensation par des apports de l’amont. Le décapage des crêtes et sommets résulte également de l’érosion mécanique par le travail du sol (labours…).

III.4 Le sol

Les sols varient énormément en fertilité et en vulnérabilité à l’érosion (en « érodibilité »). L’érodibilité du sol est une mesure de la facilité avec laquelle le sol est érodé. Certains sols résistent bien à l’érosion, d’autres beaucoup moins. L’érodibilité du sol dépend surtout de sa « stabilité structurale ». La stabilité structurale est une propriété qui se mesure par un tamisage dans l’eau et est un indice de la résistance à la désagrégation d’un sol. C’est une mesure de la cohésion des agrégats et de leur capacité à ne pas se désagréger sous l’effet de la pluie.

La stabilité structurale dépend des propriétés qui donnent une cohésion au sol :

III.4.1) La texture

Des textures avec trop peu d’argiles ont une faible cohésion et donc une faible stabilité structurale. En-dessous d’environ 10-15% d’argile, la stabilité structurale est plutôt faible. Ces sols ont tendance à former une croûte de battance en surface : une couche dense et peu poreuse qui limite l'infiltration.

 

La vidéo ci-dessous compare l'effet d'une surface avec croûte de battance (à droite) à celle d'une surface poreuse (à gauche) lors d'une simulation de pluie à l'INRA d'Orléans. La surface avec croûte de battance ruisselle beaucoup plus et entraine plus de sédiments que la surface poreuse.

 


Vidéo de comparaison d'une croûte de battance (à droite) et d'une surface poreuse (à gauche) (durée 1mn12.) (Vidéo: D. Fox - Montage: D. Fernandez)

 

Les sols les plus sensibles sont les sols riches en limons et/ou sables fins puisque ce sont des particules avec une faible cohésion et qui sont facilement détachés et transportés par les eaux de ruissellement.

Sol (Photo : Y. Le Bissonnais)Sol (Photo : Y. Le Bissonnais) Sol après la pluie Sol après la pluie
(Photo : Y. Le Bissonnais)
Sol après la pluie Sol après la pluie
(Photo : Y. Le Bissonnais)

III.4.2) La matière organique

Nous pouvons dire « les matières organiques » parce que la matière organique se trouve dans le sol sous plusieurs formes : vivante dans les racines, fraîchement tombée au sol, partiellement décomposée, très humifiée... (Consulter l'Essentiel sur La décomposition de le matière organique). Ici, il faut noter que l’humus a un impact important sur la stabilité structurale des sols. Il y a également des polysaccarides qui sont libérés par les racines des plantes et qui ont tendance à renforcer la stabilité structurale localement, mais cet effet est transitoire et moins important que celui de l’humus.

III.4.3) Le type de cation dans le sol

Les argiles ont une charge électrostatique négative (Consulter l'Essentiel sur Les argiles), les cations en solution ont une charge électrostatique positive. L’attraction entre argiles et cations permet aux argiles de former des agrégats par des « ponts cationiques ». Le calcium est un cation particulièrement bénéfique pour la structure du sol et favorise la formation d’agrégats stables. Les agriculteurs se servent de calcaire broyé (CaCO3) ou de la chaux (CaO) pour remonter le pH de leur sol et améliorer sa structure. (Les apports de calcaire broyé (ou chaux), comme ceux des matières organiques, sont des « amendements » et non pas des « engrais ».)
Pratiquement tous les cations rencontrés dans le sol (Ca2+, K+, Mg2+, Al3+, H+...) ont un effet bénéfique ou neutre sur la structure, sauf le sodium (Na+). Le sodium agit comme un dispersant dans le sol et contribue à sa désagrégation. Des problèmes de sodicité se rencontrent surtout dans des zones arides et semi-arides où il y a trop peu de lessivage pour emporter les sels vers la nappe phréatique et vers les cours d’eau et où l’évaporation concentre les sels près de la surface.

Il y a 2 mesures de la sodicité d’un sol :
  • Pourcentage de sodium échangeable (« ESP ») :
    (Na+ échangeable / CEC) * 100
  • Rapport de l’adsorption du sodium (« SAR ») :
    [Na+] / (0.5*([Ca2+] + [Mg2+]))0.5
Le sol est sodique si le ESP est ≥ à 15 ou si le SAR ≥ 13.

Cependant, l’effet négatif du sodium se sent à des valeurs faibles, même à des « ESP » de 2 ou 3.

III.4.4) L’impact d'une faible stabilité structurale

La stabilité structurale est probablement le meilleur indice de l’érodibilité d’un sol. Elle joue sur plusieurs facteurs qui influencent le taux d’érosion :

  • Sur la taille des produits de la désagrégation : une faible stabilité structurale conduit à une désagrégation plus intense. Dans ce cas, les produits de la désagrégation (les micro-agrégats) sont petits et donc plus facilement détachés et transportés
  • Sur la formation d’une croûte de battance : la désagrégation des agrégats à la surface du sol crée une couche fine à la surface où la porosité est très réduite et la densité apparente est plus importante. Cette fine couche s’appelle une « croûte de battance ». Pratiquement tous les sols sans couvert végétal forment une croûte de battance. Les sols à faible stabilité structurale les forment très rapidement sous l’impact des gouttes de pluie, les sols à forte stabilité structurale les forment plus lentement. Les sols pauvres en argile et/ou riches en limon ou sable fin sont très sensibles à la battance.

La croûte de battance est importante pour plusieurs raisons :

  • Paradoxalement, elle augmente la cohésion du sol et donc sa résistance au détachement.
  • Cependant, parallèlement, elle diminue le taux d’infiltration de manière dramatique. Le taux d’infiltration pour un sol limoneux peut passer de 60 mm h-1 ou plus sans croûte à 2-5 mm h-1 en présence d’une croûte. Ce deuxième effet compense largement le premier puisque c’est le taux d’infiltration (avec l’intensité de la pluie) qui détermine le taux de ruissellement. Le taux de ruissellement ainsi que les risques d’érosion diffuse et linéaire augmentent radicalement en présence d’une croûte de battance.
  • La croûte réduit le taux d’émergence des plantules : la croûte de battance est une couche dense et dure à la surface du sol qui présente une résistance mécanique à l’émergence des plantules. En présence d’un surpâturage, une baisse dans le taux d’émergence diminue la capacité de l’environnement à se re-végétaliser. Ceci est particulièrement grave dans les zones semi-arides où la pression sur la végétation est déjà très importante et où une re-végétalisation rapide est urgente pour réduire le taux d’érosion.
  • La croûte réduit la vitesse de croissance des plantes : même quand une plante traverse la croûte et émerge à la surface, la croûte présente une résistance mécanique à la croissance des racines et au gonflement de la tige ; de plus, elle réduit les échanges d’oxygène et de CO2 entre l’atmosphère et l’air du sol (les racines absorbent de l’O2 et émettent du CO2), ce qui fait que l’air du sol s’enrichie en CO2 et s’appauvrie en O2, ce qui crée des conditions anaérobies pour les racines. Si nous ajoutons à cela la réduction dans le taux d’infiltration de l’eau dans le sol, qui détermine la disponibilité en eau pour les plantes, il est évident que la croûte de battance joue un rôle primordial dans la re-végétalisation des milieux dégradés.

III.5) Les techniques culturales

En France, ceci peut prendre deux sens – l’organisation du parcellaire, d’une part, et le travail du sol par les outils agricoles, d’autre part.

  • Le découpage du parcellaire : l’augmentation de la taille des parcelles des agriculteurs a été l'un des facteurs clés dans l’aggravation de l’érosion en France. Ceci a conduit à :
    • des pentes plus longues ;
    • un « pluvium » (la superficie ruissellante) beaucoup plus important, avec les conséquences logiques sur la quantité d’eau qui se concentre à un point donné ;
    • des zones considérées autrefois comme étant trop pentues pour être cultivées dans le passé, et qui étaient laissées en herbe, ont été retournées et intégrées dans les parcelles de grandes cultures. Ceci a introduit des pentes très fortes et vulnérables à l’érosion dans les parcelles ;
    • l’accroissement des tailles de parcelles a augmenté la probabilité de créer des zones de concentration dans les talwegs....
    • les barrières naturelles à l’érosion – les haies et talus – ont été supprimées dans certaines régions.
  • Le travail du sol : l’agriculteur retourne le sol fréquemment afin de préparer un bon lit de semence pour le semis. Il cherche à créer une structure qui permet une bonne aération du sol, un équilibre entre rétention/circulation de l’eau, et un bon contact entre le grain et le sol et l’eau. L’énorme variété de techniques culturales rend impossible un traitement même succinct ici et seulement quelques principes peuvent être évoqués. Les conditions de semis décrites ci-dessus se retrouvent plus facilement dans des sols avec une rugosité de surface relativement faible. Cependant, la rugosité peut servir à réduire la vitesse du ruissellement et augmenter le taux d’infiltration. Les nombreux passages de tracteurs peuvent tasser le sol et créer des zones de concentration, et de formation de rigoles, dans les passages de roue. Le labour qui retourne le sol en profondeur peut concentrer les matières organiques, non pas en surface où elles peuvent jouer un rôle dans la stabilisation des agrégats et le ralentissement du ruissellement, mais en profondeur où elles n’ont aucun effet.